LIVRES – VOS FAVORIS DE L’ANNÉE

J’ai lancé cet appel un peu au hasard et je suis ravie de la variété de vos réponses. Alors voici les lectures qui vous ont marqué cette année… et pourquoi pas, y piocher de belles idées de cadeau de Noël.

“Les années” d’Annie Ernaux par Isabelle

Mon livre préféré cette année ? Plutôt Les années, lu et relu peut-être pas tous les ans mais certainement une demi douzaine de fois au cours de ces dix dernières années, parce que le prix Nobel 2022 décerné à Annie Ernaux m’a fait sauter de joie. Tout me parle. Le temps, la mémoire, la politique, les images, la famille…  Alors mon livre préféré, pfuittt !

En revanche, plein de bonheurs de lecture cette année. L’un en début d’année, Les abeilles grises, d’Andrei Kourkov, l’autre en fin d’année Quand tu écouteras cette chanson de Lola Lafon.

Les abeilles grises, un périple en Ukraine après l’occupation russe de la Crimée et d’une partie du Donbass. La neige, la solitude, le danger, la vie malgré tout. Et le souffle si particulier du conte confronté au réel le plus contemporain. Une très belle écriture, visiblement respectée par la traduction.

Quand tu écouteras cette chanson, un bonheur de lecture presque inattendu. La maison d’édition qui publie ce livre a eu la jolie idée marketing d’une collection invitant un écrivain à passer une nuit dans le musée de son choix et d’en tirer un récit. J’ai lu quelques uns de ces textes, qui se donnent à lire un peu comme des journaux intimes. Inégaux. Mais celui-ci est formidable. Non parce qu’il ne s’ancre pas dans un musée d’art mais dans le musée et d’abord l’appartement, l’Annexe, où Anne Franck et sa famille passèrent deux ans reclus à Amsterdam avant d’être déportés ; mais parce que ce texte est un récit choral qui parle de littérature, d’histoire, de mémoire, d’identité et révèle beaucoup sur une adolescente d’il y a huit décennies, si familière et pourtant assez inconnue, et une autrice juste quinquagénaire, dont je mentionne l’âge pour dire qu’elle a une œuvre derrière elle alors qu’elle est une découverte pour moi. Je me promets de lire très vite La petite communiste qui ne souriait jamais !


“Le jour où je me suis aimé pour de vrai” de Serge Marquis par Marie

Serge Marquis est un médecin en santé communautaire. Il a choisi la forme du roman pour mettre en scène des personnages et des situations illustrant les multiples facettes de l’égo. J’ai choisi de partager ce roman pour ce qu’il m’a fait ressentir dans ma chair, dans mon coeur.
Chacun des personnages vient nous toucher, nous questionner. On aimerait entrer dans cette histoire, on aimerait surtout que le livre ne se termine jamais.

La citation du livre qui s’est imprégnée en moi est : “REVIENS ICI” pour nous permettre de revenir à ce que nous sommes vraiment, pour connecter à l’importance de la pleine présence. Depuis la lecture de ce roman “REVIENS ICI” est mon mantra, à chaque fois que je m’égare, à chaque fois que mon égo se veut plus fort que ma présence. A chaque fois, ces simples mots me ramènent à davantage de douceur et de paix.


“Croire aux fauves” de Nastassja Martin par Stéphanie

La rencontre d’un ours et d’une femme dans les montagnes du Kamchatka, là où les peuples croient aux interactions entre les différents mondes et les vivent. Les événements particuliers de la vie sont certainement mieux compris par ceux qui savent les lire ou les écouter. Et cette histoire vraie le prouve. Mythe, réalité…. à vous de voir.

L’ours est parti depuis plusieurs heures maintenant et moi j’attends, j’attends que la brume se dissipe. La steppe est rouge, les mains sont rouges, le visage tuméfié et déchiré ne se ressemble plus. Comme aux temps du mythe, c’est l’indistinction qui règne, je suis cette forme incertaine aux traits disparus sous les brèches ouvertes du visage, recouverte d’humeurs et de sang : c’est une naissance, puisque ce n’est manifestement pas une mort.

Nastassja Martin, Croire aux fauves

« La Transparence » d’Adrien Lafille par Géraldine

Comme tu nous y invites, je partage à mon tour une lecture qui m’a bousculée et émue. La transparence est le deuxième roman d’Adrien Lafille qui écrit des OVNIS littéraires nourris de philosophie, de cinéma et de poésie. Ils sont publiés aux éditions Vanloo et ils méritent d’être lus. J’ai aimée son écriture parce qu’elle est spontanée, elle secoue autant qu’elle émeut et on y retrouve le sérieux absurde de l’enfance.

Mais déjà on ne sait plus quoi dire à propos de ce nuage. Tout le monde se regarde. Tout le monde fait des mouvements avec ses sourcils, des  mouvements avec sa bouche, tourne la tête mais personne ne peut ajouter une parole.

Adrien Lafille, La Transparence.

Bon j’avoue c’est un peu particulier mais ça vaut le détour.


« Le Droit du sol » d’Etienne Davodeau par Claire

C’est le souvenir de la moiteur de cet été qui a laissé surgir la BD révélation de mon année : Le Droit du sol d’Etienne Davodeau. Cette bande dessinée retrace le périple effectué à pied via les chemins de grande randonnée et de Compostelle par le dessinateur, de la grotte de Pêche-Merle dans le Lot jusqu’au village de Bure dans la Meuse. Un périple qui matérialise par l’effort sportif les questionnements philosophiques de l’auteur : quelle traces, nous êtres humains, laissons nous de notre passage sur Terre ? Et comment impactent-elles la Terre qui nous accueille et les générations futures ? En sommes-nous bien conscients ?

Alors que je revenais moi-même de quelques jours de randonnée sur le GR10 au Pays basque, j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre le récit plein d’humour et de profondeur de cette aventure. L’auteur sait y retransmettre par la plume et le crayon toutes les émotions qui nous saisissent dans ce rapport intime que la marche permet avec notre environnement : émerveillement, libération et liberté, mais aussi effroi et incompréhension face à ce qui joue aujourd’hui dans notre relation au vivant.

11 juin 2019. Je me tiens debout à la surface de la planète. Dans les broussailles détrempées par l’orage, je suis à la verticale de ce dessin de mammouth. C’est de là que je pars. Ecrire, dessiner, marcher. Trois de mes activités fondamentales. Ce livre sera l’occasion de les pratiquer ensemble.

Etienne Davodeau, Le Droit du sol.

Ultramarins” et “L’autre moitié du monde” par Fred.

Ultramarins de Mariette Navarro est un premier roman, publié cet été sous l’enseigne de la maison Quidam dirigée par un éditeur qui revendique des textes insolites et singuliers.

Pari réussi, dix-neuf courts chapitres non titrés pour dire une poétique traversée de l’Atlantique, une subversive pause (un cargo à l’arrêt en pleine mer), une improbable baignade (un équipage quittant le navire, les deux pieds au milieu de rien et tout le reste qui suit), une inquiétante dérive (une femme commandant qui perd pied imperceptiblement pour mieux se retrouver), un bateau ivre naviguant sous des cieux ultramarins.

Il y a les vivants, les morts et les marins, le livre s’ouvre sur cette citation apocryphe d’Aristote. Il y a les vivants, les morts, les marins et il y a nous, lecteurs, embarqués dans ce voyage au long cours. Mariette Navarro nous y assigne tantôt une place de passager, aux côtés de marins glissant dans le vert pupille de l’océan, tantôt elle nous donne à partager les doutes et les forces d’une femme aux commandes d’un cargo.

Le récit, à l’instar d’une houle lente et puissante, suit une progression linéaire, un texte au présent, pour raconter cette curieuse traversée. La scène initiale, le cargo à l’arrêt, vingt marins autorisés à plonger comme un seul homme et peut-être vingt et un qui remontent à bord, va hanter le texte jusqu’à l’arrivée. Car cet événement ouvre une brèche dans la vie de chaque occupant du bateau : « Ils savent que quelque chose leur a échappé. Pendant presque une heure, ils ont perdu le fil de tout. Un peu de houle s’est jouée d’eux. Entre l’océan et eux quelque chose s’est produit dont ils ne parleront jamais, ou bien il faudra beaucoup boire, ou bien il faudra beaucoup de nuits blanches. » 

Mais la narration convoque aussi l’histoire de cette femme commandant de mer, et de père en fille, les quelques analepses qui jalonnent le récit, nous permettent de comprendre sa détermination, sa volonté de maintenir la cohérence de son équipage, ses failles aussi. Elles nous amènent surtout à saisir la tentation de ce magnifique pas de côté et sa réalisation. Les dernières lignes nous le confirment dans une courte prolepse : le lâcher-prise autorisé au cours de ce voyage la conduira vers l’île de la Désirade.

Différents personnages cohabitent dans ce huis clos marin, dans l’espace de ce bateau bientôt vivant et presque mythologique, une capitaine, son second, un père disparu fou, vingt marins, un clandestin moitié marin moitié créature venue du fond de la mer. 

Nous naviguons entre réalisme et fantastique. La vie à bord y est décrite avec une sobre précision, bien ancrée dans le réel mais après le bain, peu à peu tout se dérègle : le bateau ralentit son allure, devient indomptable, une épaisse brume l’enveloppe, le temps semble s’être arrêté. Nous basculons dans un univers irréel et inquiétant.

On pense à Homère, Ulysse perdu sur les flots. On pense à Jules Verne et son capitaine Nemo, hanté par son passé, On pense à Melville, Achab devant un monstre. On peut continuer à interpréter, à se demander s’il y a des allusions à Malcolm Lowry. On peut aussi juste se laisser emporter par la poésie de ce texte, par la force de ces descriptions, par le plaisir sensuel de cette écriture, par l’envie de profiter du bain avec eux encore et encore : “ils ont quitté les sons de la terre et de la surface, ils découvrent la musique de leur propre sang, tambour jusqu’à la liesse, percussion jusqu’à la transe. Son noir des apnées, symphonie des apesanteurs “.

 L’autre moitié du monde de Laurine Roux. Pour la merveilleuse écriture de Laurine Roux, absolument sensorielle. Espagne, années 1930. Des paysans s’éreintent dans les rizières du delta de l’Èbre pour le compte de l’impitoyable Marquise. Parmi eux grandit Toya, une gamine ensauvagée qui connaît les parages comme sa poche. Mais le pays gronde, partout la lutte pour l’émancipation sociale fait rage. Jusqu’à gagner ce bout de terre que la Guerre civile s’apprête à faire basculer. Une histoire d’amour, de haine et de mort.


“Jouissance Club” de June Pla par Stéphanie

On m’a offert ce livre, c’est une cartographie du plaisir. Son message est clair “personne ne te baisera aussi bien que celui.celle qui prend du plaisir a te faire jouir“.

Ecrit par June Pla, une Marseillaise illustratrice et autrice. On y apprend en images et symboles l’anatomie mal connue de nos sexes et surtout comment jouir, seul(e), a deux, et 1000 façon d’explorer le plaisir et la sexualité (surtout sans forcément passer par la case pénétration).

Elle déconstruit les stéréotypes et les clichés sur la sexualité. 

Une mine d’or pour tous : homme, femme, hétéro, bi, homo, non binaire, etc.