MES LIVRES DE L’ÉTÉ
Alors que je m’apprête à décrocher, à remplir ma valise de livres, à devoir faire le tri entre ceux que je prends et ceux que je laisse, j’ai eu envie de partager mes coups de coeur de l’année.
Livres de femmes.
Je suis longtemps passée à côté des combats féministes de ces dernières années. Je me rends compte aujourd’hui que j’avais une vision bien surannée, galvaudée même, du féminisme. J’y associais mai-68, les constantes disparités salariales entre femmes et hommes, la charge mentale. Quelques généralités, en somme. Un grand fourre-tout dont je ne savais pas bien quoi faire.

Puis, j’ai lu La familia grande de Camille Kouchner, édité au Seuil Je crois bien qu’il s’agit du premier – petit – cailloux qui a contribué à modifier mon regard sur le féminisme. Dans cet ouvrage, l’autrice raconte son enfance au coeur des puissants. Et surtout l’inceste dont son frère a été victime, par leur beau-père, pendant plusieurs années. Savoir, et se taire. Loin d’être un grand déballage, La familia grande décrit le tabou de l’inceste, du viol. Comme celui de l’omerta, d’autant plus forte lorsque l’on évolue au coeur du pouvoir. Ce livre est ainsi, au-delà des faits qu’il dénonce, un formidable récit sur la parole. Quand parler ? Comment oser ? Quel est le poids des mots ? S’il n’est bien sûr par un essai sur l’oppression féminine, ni sur le féminisme tout court, il éclaire avec une grande justesse les mécanismes qui invitent à se taire, à ne pas dénoncer, à tenter d’oublier, à se dire que peut-être, ce n’est pas si grave…
Je me suis ensuite plongée dans Le consentement de Vanessa Springora édité chez Grasset. Lorsque j’ai commencé le récit de l’histoire – il est très compliqué de trouver un juste qualificatif à ce lien – de l’autrice alors âgée de 14 ans avec un écrivain de quarante ans son aîné, j’étais loin d’imaginer à quel point ces écrits allaient aussi transformer mon regard. J’avais suivi, de loin, plusieurs mois auparavant, les débats concernant l’agresseur de Vanessa Springora, et notamment la protection dont il avait pu bénéficier dans les milieux intellectuels. Je n’en mesurais à l’époque pas vraiment les enjeux : il s’agissait d’un auteur que je ne connaissais pas, je n’avais jamais lu l’un de ses ouvrages – je ne le ferai d’ailleurs jamais. J’avais même, je dois l’avouer, un peu de réticence à ouvrir un livre qui faisait tant parler. Je n’étais pas très à l’aise avec l’idée de m’immiscer dans cette histoire, de partager une intimité qui m’était étrangère. J’y percevais une forme de voyeurisme. A tel point qu’inconsciemment, j’avais rangé la parution de ce livre dans la catégorie « fait-divers ».
Lorsque j’analyse aujourd’hui mes réactions, je réalise à quel point ma pensée était conditionnée. Quels mécanismes m’ont poussé à refuser d’écouter le témoignage d’une victime ? De ne pas considérer sa parole ? Aurais-je réagi de la même manière si le séisme qui avait brisé l’autrice était une guerre, une catastrophe climatique ? Sans aucun doute, la réponse est non. J’éprouve une forme de culpabilité d’avoir marché si longtemps avec des oeillères. Sans le vouloir, j’ai piétiné le courage de l’écrivaine… et de toutes les autres victimes qui ont osé témoigner avant elle.
J’ai clos ce cycle avec le premier ouvrage de Lauren Bastide, Présentes publiés aux éditions Allary. Un essai, chiffres et études à l’appui, sur la place des femmes dans l’espace public, comme une synthèse des témoignages qui m’avaient secoués dans mes lectures précédentes. Oui, les femmes sont sous représentées. Oui, notre société a été bâtie, puis façonnée par les hommes. Depuis, je ne regarde plus mon environnement de la manière, je n’y porte pas pour autant une animosité particulière, mais je suis vigilante, convaincue que les petites actions de chacune et de chacun restent indispensables pour gommer ces disparités inacceptables.

Haletants : sur la route ou dans la forêt
Dystopie : récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre. J’ajouterais bien à cette définition : « et qui nous pend au nez »…. J’en ai dévoré un bel exemple cette année. Dans la forêt de Jean Hegland nous plonge dans le quotidien de deux jeunes filles coupées d’un monde qui s’effondre, réfugiées dans une forêt luxuriante. A l’extérieur : la pandémie. La peur. La pénurie. Et deux héroïnes attendant un retour à la normale, s’accrochant à des rêves rescapés du passé.
Ce roman est comme une claque, il nous gifle en pointant l’une de nos principales “qualités”, ce pouvoir que nous avons à transformer le réel. J’ai parfois l’impression que l’on déploie une énergie impressionnante pour déformer la situation que nous devons affronter ou juste pour détourner notre regard de quelques centimètres. Esquiver, l’air de rien, nous rassure tellement. Tant que l’on parvient à oublier la peur qui nous ronge… et qui malgré nos angoisses, reste essentielle à affronter.

Tout aussi haletant, American dirt de Jeanine Cummins. Ce roman appartient à ces livres qui vous rappellent le monde que vous oubliez d’observer.
Et puis, comme un tour de passe-passe, le monde vous invite à replonger dans la littérature. Je pense au retour des talibans en Afghanistan, et à la tentative de fuite de ces milliers de citoyens. Fuir. Comme Lydia et son fils, les héros du roman de Jeanine Commins, tentant d’échapper à un cartel mexicain après un massacre familial. Fuir, comme des millions de personnes, victimes du réchauffement climatique. Fuir. Nous avons oublié ce que cela signifie. Et ce livre est là, pour nous le rappeler.